Bouclier
antimissile : « les débats en France restent marginaux »
[08-01-2008]
Par Alexis Rosenzweig
Le bouclier antimissile américain en Europe s’annonce comme
l’un des principaux sujets de débat et de discorde sur la scène
internationale en 2008. Un sujet qui concerne directement la
République tchèque puisqu’elle négocie avec Washington l’installation
du radar nécessaire à ce bouclier sur son territoire. Entretien
aujourd’hui avec Krzysztof Soloch, chercheur à l’Insitut Français
des Relations Internationales où il est responsable des questions
de sécurité en Europe centrale et orientale.
Quelques pays européens, outre les pays directement concernés
que sont la Pologne et la République tchèque, ont déjà réagi,
parfois avec hostilité envers ce projet de bouclier antimissile.
En France, on n’a pas encore entendu beaucoup de réactions.
Est-ce que cette problématique de la défense antimissile fait
l’objet d’analyses et de débats ?
« Oui, depuis quelques années cette question du bouclier antimissile
a fait l’objet de quelques débats, mais qui restent marginaux
pour l’instant. On reste sur la question principale de savoir
si ce programme américain est multilatéral, global, ou bilatéral.
Pour les dirigeants français, jusqu’à l’arrivée de M. Sarkozy
au pouvoir, c’était une question uniquement bilatérale. Avec
l’arrivée de M. Sarkozy, cette question devient multilatérale
et on commence à parler d’un système qui est global, qui ne
concerne pas uniquement les pays comme la République tchèque
et la Pologne où les Américains veulent installer les deux éléments
de ce système, mais concerne également d’autres pays dans le
contexte de la défense européenne. Les Américains ont développé
une argumentation qui consiste à dire que ce système antimissile
pourrait dans un avenir proche devenir un élément de la défense
européenne. » Nicolas Sarkozy, photo: CTK Nicolas Sarkozy, photo:
CTK
Cela fait aussi partie de la stratégie de M. Sarkozy vis-à-vis
des pays de l’Est ? Il a voulu se démarquer de son prédecesseur
Jacques Chirac disant vouloir faire « des efforts vers les pays
de l’Est ». C’est-à-dire qu’on ne considérerait plus la Pologne
et la République tchèque comme des Etats « à la botte des Etats-Unis
», que la France est prête à discuter de ce projet avec ses
partenaires européens ?
« Absolument, et c’est la troisème phase de la stratégie française
à l’égard de ce projet. La première était plutôt neutre et consistait
à dire « c’est un programme bilatéral ». Après, Jacques Chirac
était très hostile jusqu’au retrait unilatéral du Traité ABM
décidé par M. Bush, il disait que ça allait rompre le lien transatlantique.
On arrive à la troisième phase avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy,
qui est plus compréhensif et plus tourné vers l’Europe de l’Est.
Avec ses origines hongroises, il est censé comprendre mieux
l’Europe de l’Est et les raisons qui poussent les Polonais et
les Tchèques à entamer des négociations avec les Américains.
»
Vous-même vous êtes d’origine polonaise et venez de passer
quelques temps en Pologne pour étudier ces questions. Vous êtes
brièvement à Prague, quelles sont d’après ce que vous avez pu
observer les principales différences dans le débat tel qu’il
a lieu en Pologne et tel qu’il est aujourd’hui en République
tchèque ?
« Je crois que la différence, c’est l’argument principal qui
explique l’adhésion à ce projet. En Pologne, on essaie d’expliquer
que cet accord du gouvernement polonais est plutôt basé sur
les menaces venant de la Corée du Nord et de l’Iran. Mais juste
après cet argument, il y en a un autre qui est un peu caché
et apparaît en arrière-plan qui consiste à dire que l’OTAN n’est
plus la même organisation à laquelle la Pologne a adhéré en
1999 et ne peut plus être considérée comme un garant ultime
de la sécurité de la Pologne et la Pologne a besoin de garanties
beaucoup plus substantielles de la part des Américains. Les
Américains et eux-seuls sont capables de garantir aux Polonais
cette sécurité. Et un autre argument qui n’est pas évoqué mais
reste quand même très présent : la volonté d’ancrer les Américains
sur le territoire polonais et ainsi défendre la Pologne contre
une menace venant non seulement du Moyen-Orient ou de l’Asie
mais également des frontières proches... »
A l’origine de cette problématique du système de défense
antimissile aujourd’hui, on peut remonter jusqu’à 1998 et la
publication du rapport d’un certain Donald Rumsfeld. Selon vous
cette problématique est-elle un enjeu politique majeur au niveau
international ?
« Je crois que la prolifération des missiles balistiques venant
du Moyen-Orient et de l’Asie reste une préoccupation majeure.
Je voudrais rappeler que cette question a déjà été abordée en
2003 dans le cadre de la publication de la stratégie de sécurité
de l’UE, dans cette « stratégie Solana » dans laquelle la menace
balistique était explicitement évoquée. Maintenant, avec le
programme militaire développé par l’Iran et la Corée du Nord
on revient sur cette question qui pourrait effectivement devenir
une question majeure dans les années à venir. Le rapport des
services secrets américains qui a mis un doute sur cette question
ne va pas changer grand chose : on a vu l’explication du gouvernement
tchèque selon lequel l’Iran a peut-être arrêté son programme
militaire en 2003 mais personne ne peut nous garantir qu’il
ne va pas le reprendre dans quelques années. Cette explication
est reprise par les Américains qui confirment que ce projet
ne prévoit pas de bâtir un système pour le présent mais pour
être opérationnel dans quelques années, lorsque l’Iran et la
Corée du Nord auront développé des capacités tout à fait impressionnantes.
»
Source: Radio
Prague.