LENA KOLARSKA-BOBIÑSKA (Varsovie) Le bouclier antimissile
américain : un débat délicat en Pologne
La Pologne et la République tchèque sont engagées dans de
grands débats sur la nécessité, les causes et les conséquences
de l'installation d'un bouclier antimissile américain. L'administration
Bush affirme que cet investissement, déployé sur leur territoire,
a un sens. L'attitude de la Russie est plus cynique : ses dirigeants
soutiennent que la mise en place d'un système antimissile porterait
atteinte au potentiel de défense de la Russie. La discussion
sur ce déploiement d'un bouclier antimissile est d'une grande
importance car elle est l'occasion d'une réflexion sur des questions
internationales essentielles : les rôles respectifs des Etats-Unis
et de la Russie dans le monde, et plus particulièrement en Europe,
ainsi que les relations que doivent entretenir les pays d'Europe
centrale et orientale avec ces puissances. La question se pose
à nouveau depuis que la Pologne est considérée comme le cheval
de Troie des Etats-Unis en Europe.
L'ancien gouvernement polonais, établi par le parti postcommuniste,
avait pris la décision d'envoyer des soldats en Irak, sans discussion
et sans tenir compte des réactions de nombreux membres de l'Union
européenne. Cet acte avait suscité un fort mécontentement en
France et en Allemagne, tandis que les pays d'Europe centrale
et orientale avaient été accusés de déloyauté à l'égard de l'Union.
A présent, dans le débat sur ce bouclier antimissile se font
entendre les voix tant des partisans que des adversaires de
son installation en Pologne. Elles viennent d'abord de membres
du gouvernement qui soulignent que le bouclier augmentera la
sécurité de la Pologne. D'autres, de l'opposition, affirment
que cette idée est inutile et nocive. Et comme toujours dans
ce genre de situation, il est proposé un référendum populaire
pour permettre à la société civile de décider de l'opportunité
du projet. Ce référendum est surtout attendu par les adversaires
du bouclier, persuadés du rejet de l'initiative américaine par
la société polonaise. Aujourd'hui, comme le démontrent les études
d'opinion, seuls 28 % des Polonais soutiennent l'installation
dans leur pays d'un bouclier antimissile, 55 % s'y opposent.
Rares sont ceux qui comprennent le fond de l'affaire. En cas
de référendum, les Polonais se détermineront en réalité en fonction
de leur attitude à l'égard des Etats-Unis. La participation
du pays à la guerre en Irak a augmenté les critiques émises
à l'égard de Washington, même en Pologne, traditionnellement
considérée très proaméricaine. Les Polonais jugeaient positivement
le rôle des Etats-Unis dans le monde il y a un an, à 62 %. Aujourd'hui,
cette appréciation est tombée à 38 %. De plus en plus satisfaits
d'être membres de l'Union européenne, les Polonais ont aussi
de plus en plus la conviction que la politique américaine est
une source des conflits dans le monde. Les questions de sécurité
jouent un rôle important dans leur zone. Les souvenirs des guerres
passées sont toujours bien vivaces, surtout chez les plus âgés.
L'installation d'un bouclier antimissile serait le signe annonciateur
de menaces externes. Il provoquerait en particulier la crainte
d'attaques terroristes et affaiblirait le sentiment de sécurité
de la société civile. Nombreux sont aussi ceux qui craignent
la réaction de la Russie et la dégradation des relations avec
ce puissant voisin. Or, depuis longtemps, ces relations ne sont
déjà pas très bonnes. 59 % des Polonais craignent une renaissance
de l'empire soviétique. Aujourd'hui, le gouvernement polonais
a accepté l'ouverture de négociations avec les Etats-Unis. La
société civile doit-elle pour autant décider par référendum
de la réponse à apporter à des questions aussi complexes ? On
peut se demander si l'idée d'un vote populaire, plutôt que de
répondre à un réel souci démocratique, ne serait pas, plus simplement,
l'occasion d'exercer une pression sur ces négociations internationales.
LENA KOLARSKA-BOBIÑSKA est directrice de l'Institut des affaires
publiques à Varsovie
Source: Les
Echos, 7 mars 2008.
-